Pourquoi n’y a-t-il pas encore eu de révolution en RD Congo ?

Introduction et analyse de l'article du Dr. Kabamba

Le terme « Révolution » fait référence à cette processus ou évènement tellement fort que de nombreux penseurs estiment actuellement qu’elle est nécessaire dans de nombreuses sociétés. Eh bien, il y a aussi beaucoup d’autres penseurs qui affirment qu’une révolution n’est pas nécessaire ou qui déclarent qu’il ne peut plus y avoir de révolution dans notre monde contemporain. J'essaie de me placer dans la première catégorie, celle de ceux qui reconnaissent que le système actuel du monde en général, en République Démocratique du Congo (RDC) en particulier, qui est capitaliste, impérialiste, raciste et néocolonialiste, est obsolète et qu'il en faut un nouveau. Je dois dire que ce n’est malheureusement pas une idée très populaire parmi mes frères et sœurs.

Par exemple, dernièrement, je suis tombé sur un article du professeur Dr Patience Kabamba, de l'Université Pédagogique Nationale (UPN) intitulé « Pourquoi les Congolais sont résilients, faibles et apathiques »  (Kabamba, 2023). L'article vise à donner la raison pour laquelle les Congolais se trouvent encore dans des conditions à peine vivable. L'analyse semble très bonne et le Dr Kabamba commence par une solide présentation de son expérience à Kinshasa à la fois en tant que citoyen et en tant que professeur engagé. Il parle de son étonnement face à la résilience du peuple congolais alors qu'il y avait tant d'inégalités et de disparités entre les individus et les classes. Pour plus de crédibilité, l’article présente une fiche de paie de l’INPP qui incarne ces incroyables inégalités.

Le Dr Kabamba suggère une raison possible à l'absence de révolution dans un pays où tout devrait crier révolution. Son approche est physiologique, expliquant que la raison de l'apathie ou de la condition des Congolais se trouve dans leur biologie, dans la manière dont ils utilisent leur cerveau. Il fait le lien entre le stress et l'anxiété du quotidien que vivent les Congolais et les conditions de santé qui les affectent. Son analyse a permis de montrer que les Congolais utilisent moins leur cerveau pour penser de manière logique ou critique que pour agir rapidement par « peur du quotidien » ou de survie, donc avec moins de « créativité professionnelle »  (Kabamba, 2023). Il conclut en affirmant que puisque les Congolais en sont venus à utiliser davantage leur cerveau limbique (qui aide à survivre et à s'adapter aux états d'anxiété de la société) que leur cerveau cortical (qui aide à penser), il n'y aura jamais de révolution pour les Congolais. . Terminant sur une note quelque peu ironique, il affirme que les gens au pouvoir n'ont à se soucier de rien car les raisons pour lesquelles il n'y a pas de révolution sont « physiologiques, biologiques et cliniques ».

Cette analyse est très bien développée et je peux comprendre le raisonnement du Dr Kabamba qui l'a conduit à une conclusion aussi sombre. Néanmoins, mon moi révolutionnaire m’empêche d’être d’accord avec ce qu’il dit. J’ai même été énervé par les nombreux commentaires en ligne en faveur d’un tel raisonnement. Même si l’analyse est intéressante, je la trouve incomplète et non productive, et je vais vous expliquer pourquoi.

Tout d’abord, l’analyse est incomplète car le professeur présente les raisons « physiologiques, biologiques et cliniques » comme absolues ou incontestables. C’est l’erreur courante qui se produit lorsque l’on donne une raison « scientifique » à un problème social, car cela ne laisse que peu ou pas de place à la discussion, car il y a cette fausse perception que la science offre toujours la vérité. Si nous regardons l’histoire, nous pouvons en trouver de nombreux exemples, à savoir : le soi-disant racisme scientifique, les nombreux arguments biologiques pour justifier le sexisme ou l’homophobie, l’évolutionnisme et bien plus encore. Ces approches ne prennent pas en compte le fait que la science n’est pas distincte de la culture : elle est en fait culturellement et socialement construite. Je peux aller encore plus loin en ajoutant que la science utilisée est majoritairement occidentale ou « euro-américaine ». Il n’est donc pas surprenant qu’elle tente de justifier l’oppression causée par les peuples occidentaux. Mais plus important encore, ces approches ne prennent pas en compte les différents autres facteurs (sociaux, culturels, religieux, personnels, politiques et économiques). Au mieux, elles les reconnaîtront, mais elles insisteront néanmoins trop sur les faits scientifiques. Dans le cas de l'article du Dr Kabamba, il ne reconnaît que peu ou pas les facteurs externes, mais il présente les raisons « physiologiques, biologiques et cliniques » comme les « vraies raisons » de l’absence de la révolution.

Deuxièmement, cette analyse n’est pas productive car elle rejette toute la responsabilité sur la « biologie » du peuple congolais, comme si elle suggérait que pour faire une révolution, les Congolais doivent littéralement changer de nature. Ce « blâme des victimes » n’est pas efficace puisqu’il justifie une injustice plutôt que d’expliquer la situation. De plus, son manque de nuances peut facilement conduire à une certaine forme de racisme, d'évolutionnisme ou de hiérarchisation de la nature des personnes, dans le sens où certains groupes de personnes sont plus biologiquement construits pour avoir une bonne vie, il n'est donc pas nécessaire d'essayer de faire un changement pour les autres. Pire encore, cela peut suggérer que les Congolais devraient attendre une concoction magique ou une thérapie qui les guérira de leur état « physiologique, biologique et clinique ». Nous savons tous à quel point une telle alternative peut aller mal, l’histoire a beaucoup à nous apprendre. Même si le Dr Kabamba reconnaît que le stress vient en premier lieu de la société, il ne parvient pas à intégrer dans ses arguments la pression plus importante que le peuple congolais et le peuple afro en général subissent de la part du système capitaliste, impérialiste, colonialiste et raciste mondial. Néanmoins, utilisée correctement et avec plus de nuances, son approche peut servir d’élément d’amorce de conversation sur la révolution dont le peuple congolais a tant besoin.

Alors que l'article du Dr Kabamba tente une approche « scientifique », les lignes suivantes viseront à donner une approche holistique prenant en compte davantage de facteurs pouvant expliquer l'absence de révolution en République démocratique du Congo. Dans cet article, je supposerai que le lecteur connait que la condition actuelle du peuple congolais est loin d’être viable, et qu’il est également conscient de la situation politico-économique. Bien sûr, il y a une partie des gens riches et des individus bien payés qui maintiennent le revenu moyen par personne plus élevé qu’il ne devrait l’être, il y a beaucoup de gens qui vivent dans des conditions épouvantables et qui doivent se battre quotidiennement pour simplement survivre. Et ça c’est lorsqu’’il n’y a pas de catastrophe naturelle (tremblement de terre, inondation ou éruption volcanique) ni de conflits (guerre, agression, attaques ou insécurité). Sans rien normaliser ni idéaliser, je suppose que le lecteur est bien informé de l’oppression à laquelle les Congolais sont quotidiennement confrontés. Lorsque cela sera nécessaire, je donnerai quand même un peu de contexte pour clarifier mes arguments.

Pourquoi n’y a-t-il pas encore eu de révolution ?

Dans cet article, je discuterai d’abord des différents facteurs qui, selon moi, sont à l’origine de l’absence de révolution. Je parlerai l'hégémonie, discuterai de la lutte économique pour la survie, critiquerai la culture de l'individualisme la liant au capitalisme et au libéralisme, ainsi que les nombreux mythes autour de la révolution. Chaque fois que nous présentons cette image de la réalité, nous sommes confrontés à la question « Et alors ? », « Et que faire ? », « Que proposes-tu comme solutions ? » Je ne suis généralement pas favorable à une telle approche pour traiter des problèmes qui ont mis des décennies et des siècles à se mettre en place et qui ont été tellement intériorisées, normalisées et naturalisées (comme le suggère le Dr Kabamba). Néanmoins, je sortirai de ma zone de confort et discuterai des quelques pistes de solution. Je me concentrerai principalement sur la libération de l’esprit ou, comme dirait Frantz Fannon, sur la décolonisation de l’esprit. Je terminerai par mon opposition ferme à l’individualisme et par une tentative de terminer sur une note positive.

Comment l’hégémonie culturelle empêche-t-elle la révolution ?

Nous sommes partis du principe que les situations et les conditions dans lesquelles vit le peuple congolais sont inhumaines et presque insupportables pour tout être humain. Ce qui est encore plus étonnant, c'est que les gens le savent bien, les Congolais sont bien conscients qu'ils se trouvent dans un système très injuste dirigé par des marionnettes et des corrompus. Alors qu’attendent-ils pour se soulever et se rebeller ? Ne serait-ce pas là le comble du terme « démocratique » que l'on retrouve dans le nom du pays ? Même Karl Marx s’attendait à ce qu’en raison de la condition d’exploitation de la classe ouvrière et des nombreuses contradictions de la société capitaliste, une révolution finisse par éclater. Je vous épargne les lignes présentant l'idéologie marxiste, mais il y a quand même beaucoup à apprendre de ça car cela aide à comprendre le complexe capitaliste mondial dans lequel nous vivons aujourd'hui (en analysant l'histoire ). S’il faut donc s’attendre à une révolution (tout est prêt), pourquoi n’y en a-t-il pas encore une ?

Antonio Gramsci, un intellectuel marxiste italien, a suggéré une raison à ce phénomène et l'a qualifié d'hégémonie culturelle. Selon lui, l’hégémonie culturelle est l’imposition de la vision du monde (ou Weltanschauung) de la classe dirigeante pour justifier un statu quo social, économique, politique ou même culturel donné (Wikipedia, 2023). Pour appliquer cela à notre contexte, cela signifie l’imposition d’idéologies et de pensées occidentales qui justifient le fait que le peuple congolais se trouve dans une situation aussi terrible. J’essaie de ne pas donner comme exemple l’utilisation du raisonnement scientifique (matérialisé dans l’article du Dr Kabamba). Ce qui est intéressant à propos de l’hégémonie culturelle, c’est qu’elle empêche les peuples opprimés ou exploités de reconnaître que ces visions du monde ou ces idéologies ne sont que de simples outils ou constructions culturelles/sociales pour les personnes au pouvoir, éteignant ainsi le feu révolutionnaire qui aurait pu s’allumer. Jusqu’à présent, tout semble assez abstrait, mais je vais décomposer en morceaux mon argument afin que nous puissions mieux comprendre ce concept.

Tout d’abord, regardons l’histoire. Je sais que lorsque nous évoquons l'histoire, les gens pensent que nous sommes coincés dans le passé ou que nous ne voulons pas avancer. Mais la vérité est que nous ne pouvons pas avancer si nous ne savons pas d'où nous venons, sinon nous serons condamnés à y retourner. L'histoire enseigne beaucoup, surtout lorsqu'elle n'est pas eurocentrique et ne parle pas de nos peuples comme d'objets plutôt comme de sujets actifs. Même lorsqu'elle le fait, nous pouvons quand même apprendre comment les pays et les sociétés d'Europe occidentale ont colonisé, dominé et exploité la majeure partie du globe. L’histoire contemporaine nous permet d’inclure les États-Unis parmi ces impérialistes occidentaux. Pendant la colonisation et l'impérialisme, comme moyen de dominer d'autres parties du monde, des stratégies culturelles ont été utilisées, telles que l'impérialisme culturel, qui a provoqué la négation du système de valeurs des groupes colonisés et a miné leurs systèmes culturels (Bush, 2014). Cette technique était manifeste et plus « consciente » que l’hégémonie culturelle (Bush, 2014)que nous avons mentionnée plus tôt, mais elle avait le même objectif : présenter la vision du monde occidentale comme étant naturelle, fondée sur le bon sens, et la bonne façon de faire les choses. À mesure que de nombreux pays obtenaient leur indépendance (sur papier pour la plupart d’entre eux), l’impérialisme culturel a cédé la place à une tactique plus subtile : l’hégémonie culturelle, dans laquelle les opprimés donnent d’une manière ou d’une autre leur « consentement » à être exploités en raison de la mesure dans laquelle ils ont normalisé et intériorisé le système, la manière occidentale de faire les choses, qu'elle soit sociale, politique, culturelle ou économique.

Un exemple clair est la manière dont des langues occidentales comme le français, l’anglais, l’espagnol ou le portugais sont devenues la lingua franca, voire les langues officielles, dans les sociétés postcoloniales. Par exemple, le français est la langue officielle en RDC, ce qui signifie que l’éducation, les institutions et l’économie fonctionnent principalement en français (même l’hymne national !!!). Je veux dire, il existe des langues nationales et plusieurs autres langues tribales et ethniques uniques, sans parler des centaines de dialectes pour chacune d'elles que la Constitution qualifie de « patrimoine » alors qu'elles sont institutionnellement rejetées, discriminées et même considérées comme arriérées, non civilisées , sauvage. C’est exactement ce que fait l’hégémonie culturelle, présentant la langue française comme la « bonne façon de faire », comme la clé de la réussite de la société (à défaut d’y voir une reproduction du système colonial), comme le marqueur des élites ( les fameux «intellectuels »), comme symbole de la civilisation. Certains chercheurs ajoutent qu’imposer une langue donnée (comme officielle) rend la domination moins abstraite et donc plus subtile (Mayr, 2008). Cela peut être inconscient lorsque les gens y ont été inculturés au sein de la famille ou à travers le système éducatif, mais cela peut aussi être conscient lorsque les gens s'efforcent de le maîtriser puisque c'est ce que la société semble promouvoir.

Résultat, dans le cas de l’adoption de la langue française, toute la richesse culturelle et les valeurs des autres langues s’effacent peu à peu et sont oubliées d’une génération à l’autre. J'aime donner un témoignage personnel à ce sujet : Mes parents sont issus de deux tribus distinctes et très uniques, avec des valeurs et des croyances culturelles distinctes. Évidemment, on s’attendrait à ce que je parle les langues de leurs tribus . Mais surprise, je ne connais pas plus de quatre phrases dans les deux langues réunies (sans parler des valeurs culturelles, de la sagesse et des techniques de ces tribus que je ne connais pas). D’ailleurs, je suis chanceux de pouvoir parler le Kingwana (le dialecte du swahili), car de nombreux autres frères et sœurs sont simplement élevés en français, sans aucun contact avec leur véritable langue maternelle. Nous pouvons estimer que dans deux générations, à ce rythme, ces langues ne feront plus partie que de l’histoire (si toutefois elles y sont mentionnées).

Contrairement à la colonisation qui a été dure et explicite, cet autre effacement de la culture est progressif et lent au point qu’au lieu de se sentir éloignés des capitalistes oppressifs, les Congolais en viennent à chercher à devenir comme eux, plus proches de la culture européenne ou des Blancs. La faute n'est pas celle des Congolais, je ne tomberai pas dans le piège du blâme des victimes, la faute est celle des pays impérialistes occidentaux qui se permettent même d'autres techniques diaboliques pour favoriser cela comme l'OIF (Francophonie), trompant que cela apporte l'unité, alors que ça divise encore plus(mais c'est le sujet d'un autre article). Voilà la première manifestation de l’hégémonie culturelle qui éloigne le peuple congolais de la révolution.

Un autre exemple de la manière dont l’hégémonie culturelle se manifeste peut être trouvé dans le système éducatif. Sans parler du nombre de choses inutiles que les enfants reçoivent de l’école primaire au secondaire et qui ne sont ni pratiques ni pertinentes pour leurs réalités. En plus de cela, il y a beaucoup de mensonges dont nous avons été nourris dans les cours de géographie ou d’histoire et j’espère que le lecteur est conscient de choses comme les « explorations » et les « découvertes » des Européens. Bien que certaines améliorations soient apportées au programme, il reste risible que la plupart du temps nous ne soyons que des objets de l'histoire et non des sujets, car la vérité est que si nous ne parlons pas de notre histoire, personne ne le fera. Il faut sortir du pays pour s'en rendre compte. Lorsque nous réalisons que nous comprenons mieux des événements comme la Révolution française et le Moyen Âge en Europe que plusieurs royaumes africains et nations précoloniales, nous devrions nous demander s’il n’y a pas d’hégémonie culturelle en action. Même lorsque nous parlons principalement de la façon dont la traite négrière a profité à l’Europe et à l’Amérique, et que nous n’évoquons que brièvement les conséquences sur la société africaine avant de passer à la veille du colonialisme, nous devrions sentir qu’il y a un problème et réaliser à quel point notre histoire a été effacée et est encore méconnu de beaucoup d'entre nous. Ou lorsque nous parlons des « progrès » de l’humanité et ne citons que les philosophes, les penseurs et les hommes occidentaux, nous devons nous demander pourquoi notre peuple n’est jamais mentionné (maintenant et même avant). Ce que je viens de mentionner n’est que la pointe de l’iceberg, mais je souhaite passer à un autre sujet qui semble exempt de toute critique, le même sujet que le Dr Kabamba a utilisé avec tant d’aisance : les sciences naturelles et physiques.

Les matières scientifiques telles que la physique, la chimie et la biologie incarnent la manière dont nous « consentons » à être contrôlés par la vision occidentale du monde. En effet, en science, ce qui est enseigné est parfois présenté comme absolu, comme si les concepts européens ou occidentaux qu'ils véhiculent avaient une sorte de validité universelle (Dubois, 2005) et nous ne sommes pas en mesure de les considérer comme des constructions culturelles car, au fil du temps, nous en sommes venus à rejeter la science de notre culture. Et tout comme pour le langage, plus nous acquérons des connaissances scientifiques occidentales, plus nous nous éloignons de nos cultures et nous nous associons au système même qui nous maintient dans cette terrible condition. Nous sommes donc aveugles et ne pouvons pas penser à la révolution parce que nous ne parvenons pas à considérer qu’il existe d’autres manières d’expliquer « scientifiquement » le monde, (alors que nos ancêtres y sont parvenus depuis des siècles). Bien sûr, les religions, comme le christianisme, ont joué un rôle dans le renforcement de l’hégémonie culturelle de l’Occident sur nous, même longtemps après l’indépendance (mais c’est une autre discussion).

La liste des manifestations de l’hégémonie culturelle est longue, même en ce qui concerne la manière dont nous nous percevons et nous valorisons mutuellement. Par exemple, ce que nous percevons comme étant beau résulte de la manière dont les médias occidentaux nous ont influencés ou de la manière dont nous avons reproduit leurs techniques ; ce que nous percevons comme réussir dans la vie est l’image capitaliste que l’Occident et ses « philanthropes » ne cessent de nous suggérer ; même ce que nous considérons comme le meilleur système (la démocratie) qui, en réalité, n’a jamais été fait pour notre peuple mais est plutôt un outil pour sélectionner la meilleure marionnette pour l’Occident. Le plus risible est ce que nous qualifions parfois de « valeurs africaines » (principalement pour discriminer notre peuple ou pour nous diviser), sans voir qu’elles proviennent en grande partie ou en partie du christianisme (qui lui-même a été en grande partie approprié par l’Occident) ou de ce que l’Occident a dit de notre culture (donc des idéologies occidentales). Cette dernière est d’autant plus choquante qu’elle montre combien nous connaissons peu les nations précoloniales et leurs modes de vie qui étaient très divers et complexes. Je pourrais continuer encore et encore, juste pour montrer à quel point il y a des choses subtiles qui ont pollué nos sociétés et nos cultures au point qu'une révolution ne nous vient jamais à l'esprit même quand tout devrait nous y attirer. Encore une fois, je dois reconnaître que ce n’est que la pointe de l’iceberg, les choses sont plus profondes, plus subtiles et plus profondes qu’une cause simplement« physiologique, biologique et clinique ».

La lutte économique constante pour la survie

Maintenant que j’ai suffisamment parlé de l’hégémonie culturelle, je développerai brièvement la manière dont la lutte économique constante pour la survie rend difficile la réflexion sur une révolution. Il existe une théorie qui pourrait nous aider à comprendre que la pyramide des besoins de Maslow(Mcleod PhD, 2023) ce qui donne un modèle pour les besoins humains. Ces besoins sont physiologiques (les besoins fondamentaux comme la nourriture, l'air et l'eau), le besoin de sécurité, le besoin d'amour, le besoin d'estime et de réalisation de soi (Barnes, 2000). Bien que ce modèle ne s'applique pas pleinement à notre contexte en RDC, il peut néanmoins nous dire que les besoins en nourriture adéquate, en eau potable et en abri sûr sont ce dont tout être humain doit se soucier avant tout. Ainsi, lorsqu’une Congolaise décide de consacrer son énergie à procurer au moins de quoi manger à sa famille, on ne peut pas lui reprocher de ne pas se battre pour une révolution. Lorsqu'un jeune Congolais doit passer toute la journée à errer dans la ville pour trouver là où il pourrait porter des charges ne serait-ce que pour obtenir de quoi payer le loyer, on ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir créé un groupe révolutionnaire.

Sans rien minimiser, on comprend que la situation est tout simplement trop tendue pour penser à quelque chose qui n’est pas présenté comme besoin urgent. Bien sûr, je crois qu'une révolution est aussi une lutte pour la survie, mais cette idée n'empêchera pas un frère ou une sœur de mourir de faim ou d'une certaine maladie. Nous nous retrouvons donc piégés dans un système dans lequel nous devons continuer à travailler ou essayer de travailler parce qu’il n’y a pas d’alternative viable en dehors de cela, et que la petite partie des personnes au pouvoir ou le grand système capitaliste et impérialiste peut dormir sans problème. Mais la vérité est qu'avec une véritable révolution (sur laquelle je développerai davantage au fur et à mesure que nous poursuivons l'article) où nous sommes unis et partageons les ressources, ces besoins seront satisfaits et nous briserons le système pour mettre en place un nouveau, où la lutte pour la survie ne nous empêchera pas de profiter des richesses de notre terre.

L'impact de l'individualisme

Maintenant que j’ai mentionné cela, je dois aussi parler d’une des choses que j’ai commencé à mépriser énormément, l’individualisme. L'individualisme implique que l'individu pense d'abord et surtout à lui-même avant le groupe. Il semble logique que chacun doive d’abord se donner la priorité avant le groupe auquel il peut s’affilier, aussi dit-on qu’il faut s’aimer pour aimer les autres. Cependant cela devient plus compliqué lorsque tout le monde le fait, détruisant le sentiment de communauté. Je dois souligner que les Congolais, comme tous les Afro du monde entier, ont une chose qui les caractérise tous ; le sentiment de communauté. Depuis la nuit des temps, ils ont vécu dans une communauté et toutes les cultures et valeurs gravitaient autour de cette communauté.

En bref, vivre en Communauté signifie être là les uns pour les autres, tout faire pour le bien de la Communauté et tout partager avec la Communauté (même les enfants). Certaines sociétés africaines utilisent le concept « Ubuntu », qui a de nombreux synonymes à travers le continent, et qui est lié aux liens avec les autres membres de la Communauté (Mugumbate & Nyanguru, 2013). Magnifiquement dit, Ubuntu est expliqué à travers des maximes telles que « Je suis parce que nous sommes, et je suis humain parce que j'appartiens (à une communauté) »  (Mugumbate & Nyanguru, 2013). Même si l’on peut être un peu critique à l’égard de la philosophie d’Ubuntu (notamment en ce qui concerne ses racines patriarcales et ses implications misogynes), elle montre à quel point la Communauté est une partie essentielle de la vie des Afro. Les frères et sœurs Afro des États-Unis l’avaient compris et n’hésitent à le rappeler (Carmichael, 1971, pp. 373-77).

Comme on peut s’y attendre, l’impérialisme et le colonialisme n’ont pas épargné cet aspect de nos cultures et ont soumis notre peuple à un lavage de cerveau avec l’individualisme. Encore un élément historique : la stratégie classique de conquête a toujours été « diviser pour régner », mais comment les colonialistes blancs ont-ils pu diviser un peuple dont l’ensemble évoluait autour d’une communauté ? Réponse : En favorisant certains et pas d’autres. Nous avons vu comment le conflit entre Hutu et Tutsi trouvait ses racines dans les inégalités créées par les Européens. De même, en promouvant certains colonisés, en leur donnant des responsabilités, en leur donnant des éducations de lavage de cerveau, et en en faisant de bons pantins, ils ont mis la méfiance et la division dans la communauté. De plus, depuis que cela a amené la concurrence, il n'y a plus de partage dans la Communauté.

Quand on regarde la RDC, les événements de l'Indépendance l'illustrent bien : comment il y a eu une division entre les dirigeants congolais (une division créée par les Belges, il faut le préciser) et qui a conduit aux instabilités politiques auxquelles le pays est confronté et fait toujours face. Plus tard, Mobutu, avec son culte de la personnalité, a renforcé l'idée que l'individu peut être au-dessus de la communauté. Pour les autres, comme le système semblait favoriser les individus qui « réussissent », ils ont commencé à se soucier davantage de leur personne. Le système éducatif a intégré l’individualisme et la compétition et les a manifestés à travers les classements en classe et les mensonges de la méritocratie. En conséquence, la plupart des gens, à mesure qu’ils vieillissent, se concentrent sur eux-mêmes, sur leur famille (le plus souvent uniquement la famille restrainte) et sur la manière dont ils maintiendront leur position dans la compétition. Pire encore lorsque les gens commencent à ensorceler les autres à cause de la jalousie, ce qui augmente la peur et la méfiance, réduisant ainsi le sentiment de communauté et augmentant l'individualisme.

Eh bien, je dois reconnaître que nous sommes un peuple fort et qu’il existe encore certains éléments de ce sentiment de communauté parmi nous. On ne peut en faire l’expérience et le ressentir que si l’on décide de penser au-delà du mode de vie corrompu dans lequel nous vivons (les copies conformes des sociétés occidentales). Si nous décidons activement d’alimenter ce sentiment et de nous rapprocher les uns des autres, nous pouvons sûrement rallumer le feu de la révolution. Si nous commençons à nous aimer en tant que membres de la même communauté, cela implique tous les personnes Afro du monde entier, car nous devons reconnaître que c’est le colonialisme qui a établi des frontières physiques, mentales et spirituelles entre nous. Et une fois que nous aurons trouvé cette unité, ce respect et cette attention pour chaque membre de la Communauté, alors nous pourrons opérer un changement. Mais pour l’instant, le système actuel nous maintient divisés et même retournés les uns contre les autres, au nom de l’individualisme et de la « liberté ».

Comme vous pouvez le constater, dans cet argument, je n'ai pas beaucoup parlé du capitalisme, c'était intentionnel, mais la vérité est qu'il existe de nombreux liens avec celui-ci. Puisque le capitalisme est un système qui valorise la compétition, le profit par l’exploitation et la libre initiative, il est très incompatible avec notre compréhension de la communauté. Lorsque nous regardons à l’échelle mondiale et la manière dont les capitalistes individuels (et les « philanthropes ») sont loués, nous pouvons conclure que le système capitaliste n’est pas adapté à nos cultures et que nous devons donc nous en débarrasser.

Mythes et idées fausses sur la révolution

Il est également important de mentionner certains mensonges ou mythes dont ce système nous nourrit. Par exemple, dans l’histoire, on nous enseigne qu’il y a toujours eu un individu (le plus souvent un homme, ce qui nous fait comprendre que le système est aussi sexiste) qui se démarque et fait une grande différence, une sorte de héros ou de messie dont le peuple avait besoin. Ce mythe rend les gens patients et peu enclins à aller en première ligne à moins d’être précédés d’une sorte de leader. Mais bien sûr, quand tout le monde attend que quelqu’un fasse quelque chose, personne ne le fait. Le fait est que ce mythe n’est pas vrai, ou disons qu’il est incomplet, car dans l’histoire, la masse populaire a tout fait, et les individus sont souvent simplement des opportunistes ou même choisis stratégiquement par le système pour créer la confusion.

Pour citer une très grande combattante, Angela Y. Davis : « Il est essentiel de résister à la représentation de l’histoire comme étant l’œuvre d’individus héroïques afin que les gens d’aujourd’hui reconnaissent leur capacité d’agir potentielle en tant que partie d’une communauté de lutte en constante expansion. .»  (Davis & Barat, 2016, p. 25). Elle fait valoir un point intéressant. Par exemple, beaucoup de gens voient le Dr Martin Luther King comme l’incarnation d’un leader noir (même si certains peuvent être en désaccord avec cela), et bien sûr, je reconnais qu’il était une personne forte (il est tout simplement triste de voir comment les gens ont abusé de ses paroles de non-violence pour invalider et s'opposer au cri de liberté des Noirs), et nous avons beaucoup à apprendre du Dr King. Mais ce que les gens ne réalisent pas, ou disons mieux, ce que le système ne veut pas que nous sachions, c'est que les protestations et les boycotts qui ont suivi le refus de Rosa Parks de céder sa place à un homme blanc à Montgomery ont été pour la plupart initiés par une masse de femmes noires et le Dr King ont fait un bon discours et c'est ce qui l'a rendu plus visible (Davis & Barat, 2016, pp. 215-17). Et même l'action de Rosa Parks n'était pas originale, beaucoup d'autres femmes noires avaient refusé de céder leur place dans le bus bien avant elle, mais le système a simplement présenté l'individu comme un cas isolé, pour l'éloigner de la masse populaire. Comme le dit sa sœur Angela Y. Davis : « Tout cela (l’importance et le potentiel de la masse populaire) s’efface lorsque vous vous concentrez de manière obsessionnelle sur des individus isolés »  (Davis & Barat, 2016, p. 217).

Ne vous méprenez pas, je reconnais les combats de Rosa Parks, ils ont eu un impact et ont inspiré de nombreux mouvements des Noirs. Ce à quoi je m’oppose, c’est cette théorie de « l’histoire du grand homme (et bien sûr, ce sont surtout des hommes) ». Lorsqu’il s’agit de luttes pour l’indépendance, on nous parle surtout des dirigeants individuels, mais je sais que la masse du peuple était en action constante. Je soupçonne que puisque notre force réside dans notre communauté et que, tout au long de l’histoire, nous avons démontré cette force en temps de crise, tout est mis en œuvre pour nous empêcher d’utiliser à nouveau cette force dans nos luttes actuelles. Une révolution n'a pas nécessairement besoin d'un leader ou d'un chef individuel, nous sommes tous des compagnons d'armes et c'est notre amour pour notre peuple et notre cri de liberté et de vie qui nous guident.

À partir de cette analyse, nous pouvons voir à quel point l’individualisme a tout autant d’impact que l’hégémonie culturelle, ils travaillent ensemble puisqu’ils renforcent tous deux le statu quo d’exploitation. D’autres idées fausses contribuent à ce statu quo et empêchent la révolution de se produire. Par exemple, des phrases comme « il y a eu des progrès », « il n’y a plus de racisme parce que même les États-Unis ont un président Noir », « nous avons l’indépendance, donc le colonialisme, c'est de l'histoire", "nous devons avancer, nous ne devons pas rester dans le passé", "la vie s'est améliorée, nous avons plus de routes, de voitures, d'électricité qu'avant". Eh bien, je vous épargnerai d'autres paragraphes pour essayer de montrer à quel point ces déclarations sont fausses de A à Z. Une chose que nous devons savoir, c'est que l'oppression n'est plus aussi visible et ouverte qu'elle l'était à l'époque coloniale (c'est le marqueur du néo-colonialisme), donc s’il n’y a pas de manifestation, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’oppression. Nous devons être conscients de la quantité de propagande du système dont nous sommes nourris quotidiennement, et parfois il suffit de faire quelques recherches pour voir ce que vivent les gens. Cet individualisme rend les gens si insensibles aux réalités des autres, au point que nous pouvons invalider une expérience donnée simplement parce qu'elle ne nous est jamais arrivée (en fait, nous aurions peut-être simplement été trop aveugles ou soumis à un lavage de cerveau pour remarquer que nous partageons ces expériences, sur des mesures différentes ou similaires). Nous devons simplement nous tourner vers notre prochain pour constater à quel point notre peuple souffre. Une autre chose à mentionner concernant ces erreurs est qu'ils ne veulent pas de confrontation et visent à clore une conversation, alors que nous avons besoin de confrontation et nous sentir mal à l'aise pour passer à autre chose. Les guerres de révolution qui ont eu lieu tout au long de l’histoire (en Algérie, au Kenya, au Vietnam, à Cuba) peuvent en témoigner. Bien sûr, ceux qui profitent du statu quo, à savoir le grand complexe capitaliste, impérialiste et raciste et leurs marionnettes, ne veulent pas de confrontation, donc ils empêchent par tous les moyens le peuple, le peuple congolais d'avoir des pensées révolutionnaires.

Alors, quelle est la prochaine étape ?

Maintenant, j’ai donné quelques raisons (nuancées quand je le pouvais) pour lesquelles je pense qu’il n’y a pas encore eu de révolution en RDC. Et on voit que c’est très profond et très complexe, et que presque toutes les raisons sont liées donc il est très difficile d’imaginer une issue. C'est, en fait, une autre raison pour laquelle les gens ne veulent pas parler de révolution parce que cela semble si compliqué (bien sûr, c'est et sera compliqué, voire impossible, si la personne s'attend à être le « sauveur » ou le « leader » de la révolution, aucune révolution n'a jamais fonctionné de cette façon). Il a fallu des décennies pour que tous ces facteurs et barrières soient mis en place et il faudra peut-être aussi des décennies pour les aborder. Mais le lecteur peut se demander : « Que puis-je faire ? », « et ensuite, maintenant que tu m'as dit tout cela ? ». J'opterai pour une réponse classique car j'explore encore les éventuelles pistes de solution, mon moi révolutionnaire est encore en croissance. Ma réponse est qu’en être conscient est déjà un très bon pas, et c’est bien que vous ayez déjà envie de faire le voyage révolutionnaire.

Ce que l’on peut faire, c’est d’abord continuer à s’éduquer, à s’informer. Comme vous l’avez lu jusqu’à présent, il est difficile de réaliser ce que je viens de mentionner sans faire de recherches car cela n’est enseigné nulle part. Nous ne pouvons pas nous attendre à apprendre tout ça à l’école, nous devons faire un effort pour désapprendre toute la propagande dont nous avons été nourris. Les livres sont un bon début car la vérité est que nous ne sommes pas seuls, beaucoup de nos frères, sœurs et ancêtres ont également pris conscience des failles du système et ont écrit à ce sujet. Il suffit de les chercher. Il y a beaucoup à apprendre dans les livres, même des suggestions de voie sortie. Et encore une fois, il ne faut pas s’attendre à vraiment comprendre les textes révolutionnaires à partir du système éducatif (ils ne veulent pas que nous le sachions), il faut faire un effort pour les analyser. Après cela, nous devons nous éduquer les uns les autres. Même si ce n’est peut-être pas la chose la plus confortable à faire, si un frère ou une sœur subit encore un lavage de cerveau, il est de notre devoir en tant que communauté de les ramener à la maison  (Carmichael, 1971, p. 433). Même s'il peut être difficile de se confronter à des personnes qui ont intériorisé la situation dans laquelle nous nous trouvons, cela vaut toujours la peine de les aborder. Je crois que les gens peuvent changer, surtout si nous enflammons leur amour et leur sens de la communauté. Avant tout, nous devons nous écouter et apprendre les uns des autres. Mes pensées révolutionnaires ont commencé à grandir après des conversations (parfois des confrontations) riches, profondes et respectueuses avec les gens.

Décoloniser l’esprit comme préparation à la révolution

Ce sont là quelques points de départ du voyage révolutionnaire. Dans mon approche de la révolution, je me concentre principalement sur l’esprit, car c’est là que tout commence. Ainsi, au fur et à mesure que l’on s’éduque, il faut éventuellement passer par un processus de décolonisation de l’esprit, ce qui signifie qu’il faut déconstruire et s’éloigner de tous les mensonges et mythes intériorisés, normalisés ou naturalisés concernant notre position d’opprimé ou d’exploité. Sur route vers la révolution, le peuple congolais doit désapprendre tous les résidus du colonialisme qui subsistent encore dans la société congolaise. Ensuite, ils renoueront avec leurs cultures afro, leur identité et avec les autres peuples afro, retrouvant ainsi le sentiment de communauté que nous avions perdu auparavant. Lorsque la communauté sera restaurée et l’unité retrouvée, nous aurons suffisamment de pouvoir pour attaquer le système actuel et ses marionnettes. Je crois en la force de notre peuple (nous avons réussi à survivre jusqu'à présent alors que tout s'opposait à notre existence) et, unis, nous renverserons ce système capitaliste, impérialiste et raciste et en mettrons en place un nouveau qui a à cœur l'amour pour la communauté et valorise la vie.

Le processus de décolonisation de l'esprit est très difficile et il peut y avoir beaucoup de pression de la part de l'environnement car la décolonisation entraînera un habitus qui va à l'encontre de la plupart des attentes sociales (attentes sociales résultant de l'hégémonie culturelle comme nous l'avons dit plus tôt). L'accent dans le processus est mis sur l'esprit, la façon de penser (développer une pensée révolutionnaire, dans notre cas, à travers une véritable idéologie panafricaine) et le sentiment de communauté. Décoloniser nos esprits supprimera la haine de soi que la plupart d’entre nous ont développée comme moyen de survie (c’est-à-dire rejeter nos identités pour s’intégrer), laissant place à un amour pour nos identités afro et notre peuple . Je ne dis pas identité « congolaise » parce que je pense que nous devrions penser au-delà du nationalisme, entrer en résonance avec nos frères et sœurs du monde entier et partager nos luttes. De plus, « Afro » est un terme plus riche que « Congolais » et a ses débuts bien avant le colonialisme, bien avant l'esclavage, contrairement à « Congolais » qui reflète encore la façon dont nous avons intériorisé le fait que notre histoire commence lorsque les Européens la reconnaissent (mais ça c'est un autre article). Je dis « identités » parce que « Afro » n’est pas un monolithe, c’est fluide, dynamique et complexe, et on aime ça, la diversité le rend encore plus riche.

L'amour pour nos identités afro peut aussi se manifester vers l'extérieur par différents facteurs comme la valorisation d'un nom africain, l'amour pour nos cheveux (rompre avec le standard de beauté occidental pour les cheveux), voir la beauté de notre couleur de peau, renouer avec notre les valeurs culturelles (les vraies, celles qui valorisent l'humanité, la nature et la communauté, et non les valeurs sexistes et oppressives), et le fait de nous considérer comme faisant partie d'une communauté.

Concernant le nom, puisqu'il est porteur de la richesse et de la sagesse de nos cultures, leur promotion est une action à la fois active et symbolique de rupture avec le système actuel qui veut que nous ayons tous des noms occidentaux. Cela concerne principalement nos frères et sœurs de la diaspora ou d’outre-mer, mais cela s’applique également à nous. Même si je reconnais que le tribalisme peut s’infiltrer, je crois fermement que l’amour de la communauté est plus fort que les intérêts individuels. Je développe davantage sur le sujet du changement nom dans mon article « Why I decided to change my first name ? »  (Sabwanda, 2023, p. 6).

Les cheveux afro sont beaux et constituent un élément clé de notre identité afro, et c’est celui qui a été le plus diabolisé. Mais grâce au processus de décolonisation de notre esprit, nous en arrivons à considérer nos cheveux comme vivants. (Carmichael, 1971, p. 371) et une partie de nous-mêmes, c'est pourquoi nous en prenons soin correctement et en faisons la promotion. Et cela s’applique à nous tous, indépendamment de ce que le système actuel définit comme rôles et attentes en matière de genre. Je suis assez radical en ce qui concerne les cheveux afro, et je suggérerais de les laisser naturels, mais je sais que nos gens sont très créatifs, donc je pense que tant que nous ne reproduisons pas ce que la société occidentale présente comme une bonne coiffure (ou même comme une coiffure adapté à notre type de cheveux), aimons nos cheveux.

De même, aimons et apprécions notre couleur de peau ou notre teint. Nous devons empêcher le colorisme de nous diviser et de nous monter les uns contre les autres, ce que veut et a toujours voulu le système. Un bon regard sur l'histoire de la création du colorisme pendant l'esclavage aux États-Unis confirmerait cela, par exemple à travers le principe du sac en papier (Kerr, 2005). Grâce au processus de décolonisation de l’esprit, nous comprenons que seule la haine de soi peut nous amener à blanchir notre peau, à utiliser des produits cosmétiques qui changent notre teint ou à utiliser des filtres chaque fois que nous prenons une photo pour paraître plus clair. Ensuite, nous en venons à nous aimer et à voir la beauté de la couleur de peau de notre peuple.

Ces éléments que j’ai mentionnés ne doivent pas être considérés comme des cases à cocher, car cela réduirait le processus de décolonisation à une simple performance, ce qui est encore pire que de subir un lavage de cerveau car cela saperait la révolution. Il n’y a pas une seule voie de décolonisation, j’ai mentionné ces exemples parce que ce sont ceux qui s’appliquent le plus à mon expérience personnelle à travers la décolonisation de l’esprit, et je sais que mes frères et sœurs ont des expériences très diverses. Ainsi, la manière dont la décolonisation de l’esprit se manifestera chez eux n’est peut-être pas la même que la mienne, par exemple elle peut inclure la reconnexion à nos langues africaines et à nos croyances religieuses, etc. Et le temps nécessaire à la décolonisation de l'esprit dépend également de l'expérience de chacun et est impacté par les conflits auxquels ils pourraient éventuellement être confrontés. Il est important de souligner les nombreux échecs des « politiques de l’authenticité » et d’autres suggestions visant à « revenir au vrai soi », proviennent de leur caractère unilatéral. Ces idéologies impliquent généralement qu’il n’y a qu’une seule façon d’être, par exemple, un « vrai » Panafricain ou un « vrai » Noir. La vérité est que nous sommes un groupe diversifié et c'est notre richesse, rien ne doit nous l'enlever, notre Communauté est basée sur cette unité dans la diversité, c'est pourquoi nous sommes plus forts ensemble. Néanmoins, d’une manière ou d’une autre, la décolonisation de l’esprit devrait aboutir à l’amour de notre terre, de notre peuple, de nos identités, de nos cultures et de notre histoire. La décolonisation de l’esprit doit nous préparer moralement, politiquement, physiquement et mentalement à la lutte pour la révolution.

Quelques mots pour conclure

En conclusion, cet article (qui est devenu un long essai) a discuté des raisons pour lesquelles il n’y a pas encore eu de révolution en RDC ces dernières années, alors qu’il est clair que le terrain est bien préparé pour cela. Après avoir analysé de manière critique certains des facteurs qui peuvent expliquer pourquoi il n’y a pas de révolution, cet article a également tenté de donner le premier pas que chacun peut faire sur le chemin de la révolution. Tout au long de l’article, nous avons souligné l’importance de la Communauté comme moyen de nous unir pour une révolution efficace. En conclusion, nous devons reconnaître qu'il y a déjà des frères et sœurs qui ont pris les armes (symboliquement ou littérairement), dans des milices et d'autres groupes, nous devons les porter dans nos cœurs et les soutenir chaque fois que nous le pouvons, en particulier ceux qui luttent pour des objectifs révolutionnaires et non pour simplement faire partie du système.

Cet article s’adresse principalement au peuple congolais, mais il peut aussi s’adresser à tout autre Afro ou autre peuple opprimé et exploité par le système capitaliste, impérialiste et raciste occidental et ses marionnettes. La révolution, je pense, finira par inclure (à un stade différent et ultérieur) d’autres peuples opprimés et exploités, car nous devons maximiser nos ressources et attaquer sur tous les fronts pour être sûrs de renverser ce système qui a mis des décennies et des siècles à être mis en place. Mais dans un premier temps, nous devons renforcer les liens entre nous en tant qu'Africains, en tant qu'Afro du monde entier, en tant que fils et filles (enfants) d'Alkebulan, ce à travers la Communauté.

Je n’ai pas non plus mentionné les alliés potentiels au sein du système. Nous pouvons les considérer dans notre combat révolutionnaire plus tard dans le processus, et ils auront un rôle non pas dans nos rangs sur le front, mais à l’intérieur du système, parmi leur peuple, déstabilisant le système d’où il vient. Ce sera une partie cruciale de la révolution car tant que nous n'aurons pas ce genre d'allié(s) qui seront vraiment en action (et n’essaieront pas de prendre de la place ou de gagner une médaille de « bonne personne », ou pire, de nous apprendre à combattre), il sera difficile d'atteindre l'étape finale de notre révolution. Nous devons souligner que ce sera à nous de décider qui seront nos alliés et quand ils entreront en action, et de mon humble point de vue, ce n’est pas encore le moment.

Je voudrais terminer avec une citation d'un très bon ami, qui m'a beaucoup inspiré et qui est un frère en arme sur le chemin de la révolution.

" Comme dans tout, nos gens ont fait des choses

nous devons autonomiser nos esprits, nos cœurs et nos âmes, vous pourriez penser que vous êtes impuissant en tant qu'individu, mais accepter cela rend cela vrai

le pouvoir réside dans les masses populaires, en particulier dans les masses instruites, et les masses sont composées d'individus ordinaires comme vous et moi (…) Parce que la révolution est un processus, pas un événement et elle est collective » (Antunga TC)

Réveille-toi, ô Beau combattant, la Révolution arrive et nous triompherons.

 

B.S.P.

Bibliographie

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Kabamba, P. (12 septembre 2023). Actualité : Pourquoi les Congolais sont résilients, faibles et apathiques ? (Analyse du Pr Patience Kabamba) . Extrait le 16 septembre 2023 de mediacongo : https://www.mediacongo.net/article-actualite-126852_pourquoi_les_congolais_sont_resilients_faibles_et_apathiques_analyse_de_prof_patience_kabamba.html

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Wikipédia. (2023, 2 août). Hégémonie. Extrait le 16 septembre 2023 de Wikipédia, The Free Encyclopedia. : https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Hegemony&oldid=1168404345

 

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